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Traduction

Comment la méditation m’a permis d’éliminer les douleurs pelviennes chroniques ?

By 8 mars 2022mars 31st, 2022No Comments

Cet article est une traduction de Prostatitis: ‘How I meditated away chronic pelvic pain’ (BBC) écrit par Henri Astier.

Pendant près de deux ans j’ai ressenti des douleurs dont je n’ai pas parlé à mes amis. Les brûlures et piqûres dans la zone génitale ne sont pas des sujets de conversation pendant les soirées conviviales.

Je les évoque ici parce de nombreux hommes, je l’ai découvert, souffrent en silence comme je l’ai fait.

Lorsque mes douleurs se sont déclarées, à la mi-2016, un urologue a vérifié l’état de ma prostate. Elle avait grossi, rien de plus. Une fois l’éventualité du cancer écartée, les médecins ont conclu à une banale prostatite – j’avais après tout 57 ans – et m’ont renvoyé chez moi.

Le diagnostic me semblait insuffisant. Je n’avais pas de cancer, très bien, mais qu’est-ce qui expliquait mes douleurs ? Celles-ci s’emballaient et se métamorphosaient, comme un kaléidoscope fou: tantôt le pénis m’élançait, tantôt le rectum ou un testicule… Mes symptômes évoluaient en d’étranges crescendos, les après-midi de calvaire succédant aux matins supportables, ou vice-versa.

Curieusement, une fois au travail, je parvenais à oublier mon mal. Mais il dominait le reste de ma vie. Le simple fait de m’asseoir était pénible. Je marchais lentement, comme un vieillard. Le jogging, mon exercice de prédilection, était hors de question. Le sexe perd de son attrait lorsque vos parties inférieures sont une source de souffrance, et non de plaisir.

En cherchant sur Internet, comme tout malade, je me suis aperçu que je n’étais pas seul. La « prostatite chronique non bactérienne » est de loin le type le plus courant de prostatite. Pourquoi l’urologue ne me l’avait-il pas dit ?

Également connue sous le nom de « syndrome de douleur pelvienne chronique » (anglais : Chronic Pelvic Pain Syndrome, ou CPPS), cette affection toucherait environ 8 % des hommes.

La cause du CPPS est inconnue. J’ai tenu un journal pour suivre les hauts et les bas de mes douleurs et je n’ai trouvé aucune corrélation avec mes activités ou mon alimentation. Le traitement est tout aussi insaisissable que la cause: antibiotiques, analgésiques et anti-inflammatoires sont totalement inefficaces.

Le service de santé publique britannique (Le National Health Service, NHS) offre peu d’espoir. Selon son site web: « L’objectif est de réduire les symptômes à un niveau où ils interfèrent moins avec les activités quotidiennes, plutôt que de se débarrasser complètement de la douleur. »

En l’absence de perspective de guérison, j’ai essayé diverses astuces pour circonscrire le mal. Je trouvais les bains chauds apaisants. Des coussins moelleux facilitaient la position assise: j’ai pris l’habitude d’en apporter un au travail, en disant à mes collègues que c’était plus confortable.

Mais l’idée de passer le reste de ma vie à gérer la douleur était décourageante. J’ai eu une première lueur d’espoir cet automne-là en lisant un livre de Tim Parks, un écrivain britannique vivant en Italie. Dans Teach Us To Sit Still Parks explique qu’il a surmonté le syndrome grâce à la méditation Vipassana, ou « pleine conscience ».

Cela semblait étrange, mais j’étais prêt à écouter quiconque disait que le CPPS n’était pas une condamnation à vie.

Le fait que je m’identifie à Parks m’a aidé. Comme moi, il s’était installé dans un pays étranger dont il aimait passionnément la culture et avait épousé une fille du pays. Il vivait principalement par les mots (il est universitaire et romancier, et moi journaliste). C’était un anxieux, enclin à la fois à réagir de façon excessive et à réprimer ses émotions. Il était rationaliste, et ne croyait ni au New Age ni à aucune forme de spiritualité.

Penser trop

Parks, influencé par une thérapie pour le CPPS conçue par des médecins américains de l’Université de Stanford, a conclu que ses douleurs étaient produites par le stress. Selon cette théorie, l’anxiété est souvent stockée dans les muscles et la musculature pelvienne est particulièrement délicate car elle est entrelacée avec les nerfs. La solution consistait à calmer un esprit agité.

J’ai décidé de me lancer à mon tour dans la méditation. Chaque matin, assis sur une chaise, je concentrais sur ma respiration pendant une heure. Je le faisais à la maison, au travail, dans les transports en commun… Lorsque vous méditez, vous ne vous souciez pas de ce que les gens pensent.

Ne pas se soucier de ce qu’on pense: voilà l’essence de la méditation. Les sons, les sensations, et finalement ce qui vous passe par la tête, tout cela vous parvient sans jugement ni contexte, comme les bruits d’hélicoptères et les bribes de conversations dans certains morceaux de Pink Floyd.

Il en va de même pour la douleur. Au lieu de l’éprouver directement, j’ai finit par observer le fait que j’étais quelqu’un qui souffrait. Ce mal polymorphe était devenu un objet de compassion, et non de pur désespoir. Avec le temps, j’ai constaté une diminution de son intensité et de sa fréquence.

Cette amélioration était d’autant plus remarquable que j’ai continué à craindre le cancer pendant un certain temps. Trois mois après mon premier diagnostic, constatant que mes symptômes persistaient, j’ai consulté un second urologue.

Il n’a pas trop tiqué quand je lui ai parlé de méditation. Mais en bon scientifique, il s’est empressé de rétablir la primauté de la physiologie: « Ce n’est pas parce que vous et moi avons des personnalités nerveuses que notre corps va bien. » Autrement dit: ne n’est pas en traitant simplement la peur qu’on élimine le danger.

Il a souligné que mon taux d’antigène spécifique de la prostate (PSA), un indicateur possible de cancer, était élevé. Après être passé sous scanner, j’ai dû subir une biopsie.

Cette procédure consiste à vous perforer le postérieur pour insérer une batterie d’aiguilles qui va piocher des cellules dans la prostate. Elle est aussi barbare qu’elle en a l’air. Les pisses ensanglantées et les douleurs durent plusieurs semaines.

Les résultats ne sont pas immédiats non plus. En attendant, je ne pouvais m’empêcher de penser à l’impuissance et l’incontinence qui découlent souvent d’une prostatectomie. Mais la pleine conscience m’a aidé à relativiser ces pensées. Loin de s’accentuer, mes douleurs pelviennes ont continué à s’atténuer avant comme après l’annonce des résultats (toujours pas de cancer).

L’exercice physique était aussi important que la méditation. La natation, deux fois par semaine, a détendu de manière palpable mes muscles pelviens, ainsi que les étirements quotidiens.

Chaque patient, cependant, est différent. Le CPPS ne se prête pas à un traitement traditionnel qui convient à tous. Les urologues peuvent vous sauver la vie si vous avez un cancer, mais ils sont largement impuissants lorsqu’il s’agit d’une maladie multifactorielle peu comprise comme le CPPS.

« Beaucoup d’entre eux n’aiment pas la traiter », dit Jonathan Rees, un généraliste basé dans le North Somerset qui a co-écrit les directives sur la prostatite pour Prostate Cancer UK. « Les urologues ont tendance à distribuer des antibiotiques et quand les gens ne vont pas mieux ils ne savent pas quoi faire ».

Selon le Dr Rees, le meilleur espoir pour les patients est de trouver une personne, qu’il s’agisse d’un médecin généraliste ou d’un spécialiste de la douleur, qui s’intéresse particulièrement à ce problème.

Pour moi, cette personne était Karl Monahan, un thérapeute en massage sportif qui connaît bien le CPPS pour en avoir souffert et dirige une clinique spécialisée à Londres. Après 10 mois de progrès réels mais lents, je me suis tourné vers lui.

Pendant un an, Karl m’a écouté, a conçu des étirements spécifiques et, surtout, a changé ma façon d’aborder mes symptômes. « L’idée que vous puissiez contrôler votre douleur fait flipper certaines personnes », m’a-t-il dit. « Mais moi, je trouve ça libérateur ».

Il m’a appris à vivre sans mes petits accommodements. Il m’a fait rapidement abandonner le coussin, qui, selon lui, ramenait mon esprit sur la maladie.

Lorsque j’ai dit à Karl que mon journal confirmait l’efficacité de sa méthode, il m’a dit que mes notes sur l’évolution des douleurs constituaient également une forme de doudou, et qu’il était temps de m’en passer. J’ai cessé mes éphémérides: mon amélioration s’est poursuivie sans que j’en prenne acte tous les soirs.

En décembre 2017, j’ai connu mes premiers jours sans douleur après 18 mois. Bientôt, ils sont devenus la norme.

Certes, rien ne prouve qu’un changement d’état d’esprit m’ait guéri. Aucune étude rigoureuse n’a plu établir l’efficacité de la méditation pour le CPPS. Il est possible que je serais parvenu au même résultat sans elle. Et il se peut qu’elle ne fonctionne pas pour d’autres.

Mais ma guérison est compatible avec l’idée, de plus en plus acceptée par les médecins, qu’il existe un lien entre le stress mental et la douleur. Toute forme de douleur chronique, souligne le Dr Rees, implique une « sensibilisation centrale », c’est-à-dire que le cerveau devient trop réceptif aux signaux envoyés par les nerfs. Plus vous craignez la douleur, plus vous la ressentez.

À l’inverse, ajoute-t-il, le fait d’être détendu vous rend moins sensible aux signaux de la douleur : « L’esprit est un facteur très important dans la façon dont nous réagissons à la souffrance physique ».

Le Dr Rees estime qu’il est tout à fait possible que mon esprit se soit emballé à la suite d’une inflammation de la prostate et que la méditation ait lentement brisé ce cercle vicieux.

Quels que soient ses vertus thérapeutiques, je considère la pratique de la méditation comme un bien en soi. Lorsqu’un problème survient, dans la région pelvienne ou ailleurs, mon esprit a moins tendance à courir vers le scénario catastrophe: c’est simplement une nouvelle occasion de surmonter un obstacle.

Certains problèmes, bien sûr, sont insurmontables. Mais tous sont observables. Cette maladie, d’une manière étrange et inattendue, aura été une bénédiction. À l’approche de la soixantaine, je me sens mieux préparé aux inévitables défis corporels des années à venir.

Mise à jour 2022 : mes douleurs appartiennent largement au passé. Je dis « largement » car en 2019 j’ai eu une légère rechute – à l’occasion, paradoxalement, d’un voyage professionnel enthousiasmant (c’était aussi le cas en 2016 : est-il possible que certaines passions qui nous définissent soient des sources de stress ?)

Mais je savais que j’en viendrais à bout et, en effet, tout est rentré dans l’ordre en quelques mois. L’essentiel est là : l’ennemi n’est pas tant la douleur que la peur de la douleur.

Aucune relaxation ne vaincra les calculs rénaux ou la sclérose en plaque. Il se trouve que le CPPS est un mal que l’on peut traiter en le prenant en patience. Profitons-en. Ne craignons pas notre pelvis, même s’il nous fait provisoirement souffrir. Si j’y suis parvenu, c’est à la portée de n’importe qui.

Des trois éléments auxquels j’attribue ma guérison – la méditation, l’exercice, le recours à un expert qui sait écouter – le troisième est probablement le plus important. Sans guide, le patient est seul face au funeste pouvoir de ses propres pensées. J’ai eu la chance d’en rencontrer un. J’espère que je blog de Christian aidera ceux qui souffrent en France à trouver le leur.

Henri Astier
BBC News, 29/07/2018
> Article original

Traduction : Christian Weber